Le journalisme est-il voué à disparaitre à brève échéance ? Baisse de confiance dans les médias, invasion de l’IA, concurrence face aux influenceurs et montée des monopoles… La dernière édition du festival Médias en Seine, à Paris, avait vraiment des allures de chant du cygne. Mais, l'avenir est-il vraiment sombre pour le journalisme ?
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Si l’on n’en croit que les speakers de la 7e édition de Médias en Seine, qui a eu lieu le 14 janvier dernier à la Maison de la Radio, à Paris, le baromètre n’est pas au beau fixe. Les conclusions de ce colloque qui réunit des professionnels des médias français, européens et américains – je vous les fait courtes – sont :
- que les influenceurs, c’est-à-dire des publicitaires, ont plus de crédibilité que les journalistes, notamment auprès des moins de 30 ans;
- que les populistes – comme Trump, Orban, Meloni ou Javier Milei pour n’en citer que quelques-uns - séduisent de plus en plus et arrivent au pouvoir en tirant à boulets rouges sur les médias traditionnels ;
- ou encore que le journalisme est en train de devenir un niche marginale.
Si l’on ne prend que les conclusions de ce colloque, c’est effectivement loin d’être une vision optimiste. Cela dit, toujours chez nos voisins français, une enquête menée par ViaVoice en mars 2024 montrent que même si beaucoup pensent que la qualité du journalisme est en baisse, 84% des Français continuent de penser qu’il s’agit d’un métier utile et important !
Le journalisme est fragilisé, ce n'est pas un scoop ! Il y a plusieurs facteurs qui le rendent fragile. D’abord, la crise économique. Les médias traditionnels dépendent beaucoup des revenus publicitaires, mais ces revenus ont été aspirés par les plateformes comme Google et Meta. Ensuite, il y a la défiance du public. Beaucoup de gens remettent en question l’objectivité des médias ou préfèrent s’informer directement via les réseaux sociaux. Enfin, il y a la rapidité de la diffusion des fausses informations, qui concurrence directement les efforts des journalistes pour fournir des informations fiables et vérifiées.
Réseaux sociaux et IA... amis ou ennemis ?
Les réseaux sociaux, première source d’information des plus jeunes mais aussi amplificateurs de fake news, sont-ils un adversaire redoutables pour les médias traditionnels ? Pas uniquement. Ils sont aussi des opportunités pour atteindre de nouvelles audiences, mais encore faut-il savoir les utiliser. Le problème, c’est qu’ils favorisent souvent le sensationnel au détriment de l’analyse approfondie. Cela met effectivement une pression supplémentaire sur les journalistes. Il en va de même avec l’IA qui est un outil puissant qui transforme le journalisme. D’une part, elle peut automatiser certaines tâches fastidieuses comme la transcription d’interviews ou la recherche d’informations dans des bases de données massives. Cela libère du temps pour les journalistes, leur permettant de se concentrer sur l’analyse et l’investigation. D’autre part, elle pose des questions éthiques. Par exemple, qui est responsable si une intelligence artificielle produit des contenus biaisés ou incorrects ? En outre, l’IA peut aider à lutter contre les fausses informations en identifiant rapidement les contenus trompeurs. Mais pour que cela fonctionne, il faut un encadrement clair et des journalistes formés à utiliser ces outils avec discernement. En somme, l’IA ne remplacera pas les journalistes, mais elle redéfinira leur manière de travailler.
De vraies raisons d'être optimiste !
Tout d’abord, il y a une vraie demande pour un journalisme de qualité. Pendant la crise du Covid19, par exemple, les gens se sont tournés vers des sources fiables pour s’informer : les médias traditionnels. Ensuite, des modèles économiques alternatifs commencent à émerger. Les abonnements payants, par exemple, rencontrent un véritable succès. Prenons le cas de Mediapart en France ou du New York Times aux États-Unis : ces médias montrent qu’un contenu de qualité, bien écrit et enrichissant, peut convaincre le public de payer pour une information crédible. Il y a aussi le crowdfunding, où les lecteurs financent directement des projets journalistiques. Cela permet de réduire la dépendance à la publicité et de renouer une relation de confiance avec le public. Enfin, les nouvelles technologies ouvrent des perspectives passionnantes. Les formats innovants, comme les podcasts, les newsletters personnalisées ou les documentaires interactifs, attirent de nouvelles audiences, notamment chez les jeunes. Ces outils permettent de raconter des histoires de manière immersive et engageante, tout en valorisant le travail journalistique. En somme, bien que les défis soient immenses, le journalisme a toutes les cartes en main pour se réinventer et rester un pilier essentiel de nos sociétés.
J'en suis convaincu, le journalisme est un métier qui a un réel avenir ! Il va certainement se redéfinir, c’est nécessaire. Le journaliste deviendra davantage un médiateur, capable de trier et d’analyser un flot constant d’informations. L’intelligence artificielle, dont nous parlions tout à l’heure, pourrait automatiser certaines tâches comme la recherche de données, mais la dimension humaine — le sens critique, l’éthique — restera essentielle. On verra aussi, je pense, plus de collaborations internationales entre journalistes pour un journalisme de grande qualité, comme ce fut le cas pour les Panama Papers.
Et les médias de proximité dans tout ça ?
Ils ont tout à fait leur place dans le paysage médiatique d'aujourd'hui et de demain, surtout en se concentrant sur des niches ou en proposant des analyses locales voire ultra locales et hyper-spécialisées. Les grandes plateformes ne peuvent pas tout couvrir. Il y a donc une place réelle pour des projets plus petits, mais agiles et innovants. La ministre Galant veut réformer les télévisions de proximité, en réduire le nombre de moitié. Je pense qu’il faut effectivement en réorganiser voire en fusionner certaines, surtout dans le Hainaut où il y a 4 télévisions de proximité pour 69 communes (à titre de comparaison, QU4TRE couvre 55 communes en Province de Liège à elle seule). Mais de manière générale, cette réorganisation doit aussi passer par un renforcement de leur autonomie et de leur financement. Des télévisions locales comme TV Lux, Védia, BX1 ou QU4TRE font de l’excellent travail et ont, tous supports confondus – télévision traditionnelle, streaming, réseaux sociaux et podcasts – une réelle audience en demande d’information locale. Je suis un partisan acharné de l’information de proximité et je suis convaincu que c'est par elle que les médias traditionnels doivent passer - en la développant ou en la renforçant - pour assurer leur avenir à court terme.
Le journalisme demeure essentiel pour plusieurs raisons fondamentales, liées à son rôle central dans le fonctionnement des sociétés démocratiques, la diffusion de l’information et le maintien d’une compréhension critique des enjeux contemporains. Une démocratie ne peut fonctionner sans une population informée. Le journalisme fournit aux citoyens les outils pour comprendre les politiques publiques, les débats sociétaux et les enjeux internationaux. Les journalistes jouent un rôle clé en surveillant les institutions, les gouvernements et les entreprises, dénonçant les abus de pouvoir, la corruption et les injustices. Sans ce rôle de contrepoids, le pouvoir pourrait agir sans ce que les anglo-saxons appellent l’accountability, c’est-à-dire l’obligation de rendre des comptes. C’est ce qui risque d’arriver aux Etats-Unis avec Trump au pouvoir.